Log 33. Anatomie du Gris
Pensée du jour : "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme"
Fond musical : The Vines - Autumn Shade II
On s'habitue vite au gris. On ne se sent pas exceptionnellement heureux, mais on avance petit à petit, jour après jour. Et on ne se sent pas mal, c'est déjà ça. Pour ma part, vivre dans le gris passait tout d'abord par le fait d'accepter d'exister sans "vivre" aussi pleinement que dans mon idéal. De mettre de côté ma recherche du Bonheur avec un grand B, pour me contenter de choses plus simples. Le gris, c'est la zone neutre qui se situe entre "oublier qui on est et baisser les bras pour devenir une ombre" et "se retrouver et être en paix avec soi même". Cette zone grise, j'avais décidé de m'y camoufler après une rencontre mitigée avec une personne qui -je le croyais- me ressemblait. L'expérience n'avait pas été complètement négative puisqu'elle m'avait montré que j'étais encore capable d'être intrigué par quelqu'un (voir Log précédent), mais il s'est avéré que cette personne était encore plus perdue que moi. De quoi relativiser donc, et laisser de côté un moment mes aspirations, mes grandes espérances. Je remettais donc mon masque de normalité, et replongeais dans le fleuve du quotidien, sans rien attendre d'autre que la tranquillité pour quelques temps ...
Mais, j'aurais dû m'en douter, la vie ne vous laisse pas respirer longtemps. Elle ne tolère pas ce genre d'état de flottement, et vous encourage sans cesse à basculer d'un côté ou d'un autre : le Bonheur ou la Déchéance. Je ne pense que le destin s'acharne spécialement contre moi, et je n'accèpte pas l'idée qu'une entité supérieure monte des plans machiavéliques à mon encontre, mais les faits sont là : le gris ne peut pas durer, et quelque chose vient toujours faire pencher la balance. En l'occurence, ce sont mes parents, et leur santé respective en déclin, qui me sortent de ma torpeur. L'un hospitalisé ici, l'autre en Vendée, et moi bloqué par mes obligations, mes responsabilités. Le réveil est difficile, je ne sais pas quoi faire, je me sens impuissant. J'essaie de me montrer à la hauteur, je fais tout mon possible, épaulé par ma soeur. Mais la vérité c'est que je suis effrayé de les voir comme ça. Et je ne comprends pas pourquoi, malgré tous les maux dont ils sont responsables, leur état peut encore me toucher autant.
Je ne peux rien faire, simplement imaginer ce que je changerais si je pouvais retourner dans le passé, quand j'étais gamin. Est-ce que je ferais en sorte de les séparer plus tôt, afin qu'ils ne se détruisent pas autant (et moi par la même occasion) ? Je regrette de ne pas pouvoir plus discuter avec eux, de façon naturelle, de mes craintes et mes espoirs. Mais j'aurais trop peur qu'ils découvrent quel individu ils ont créé : une personne presque incapable de spontanéité, un monstre d'analyse. Et surtout, je ne pourrais pas m'empêcher de les accuser. Les nuits sans sommeil sont de retour. D'une façon inexplicable, j'alterne les soirs où je les maudis et ceux où je me sens responsable de ce qui leur arrive. Une fois de plus, mes sentiments sont un mystère pour moi ...
"Le but de la vie est inconnu, et c'est pourquoi la vraie façon d'être n'est pas accessible aux créatures vivantes. Qui peut dire si les schizophrènes n'ont pas raison ? Monsieur, ils accomplissent un courageux voyage. Ils se détournent des choses simples que l'on peut tenir et utiliser. Ils se tournent vers l'intérieur d'eux même, vers la Signification. Et c'est là que réside le vide noir et sans fond, l'abîme. Qui sait s'ils pourront en revenir, et s'ils y parviennent, qui peut dire comment ils seront alors ? Je les admire pour leur courage"
Héliogabale, Glissement de Temps sur Mars
Fin de transmission.